Saint et joyeux Noël

L’association Pèlerinages de Tradition

vous souhaite

un Joyeux Noël et une Sainte Année 2023 !

Crèche de Noël

Un gros poisson… pour Noël.

Texte 103 – Extrait du dossier spirituel

Pologne Après la 2e guerre mondiale…

– Que me voulez-vous ?

– Quelques petites explications, cher curé, qui vous désapprendront de vous moquer de moi. Je vous laisse le temps de faire votre valise, ce qui me permettra un tour d’horizon.

L’abbé Paul connaissait l’homme de vue, mais surtout de réputation. Grâce à lui, des centaines de « réactionnaires » croupissaient dans les prisons. Le département des services secrets lui confiait les affaires les plus scabreuses dans l’intime certitude que l’organe appelé cœur n’était en lui qu’une transmission circulatoire. Blindé contre tout sentiment de pitié, il était de toute confiance ; voilà ce qu’était Antoine Tryk qui venait arrêter l’abbé Paul.

La peur du premier instant cédait à un sentiment autrement impérieux. Tout à l’heure, la messe de minuit ne pourrait avoir lieu ! Les gens qui font la queue auprès du confessionnal attendront en vain ! « Reine de Yasna Gora, viens à mon secours ! » pria l’abbé. […]

– Où dormez-vous ?
La question se posait effectivement. Dans l’unique pièce du « presbytère », une méchante baraque en bois, il n’y avait pas de lit. L’abbé Paul haussa les épaules :

– Cela dépend ! Dans ce fauteuil, ou bien par terre. Je n’ai pas eu encore le temps de penser à un lit…

Tout en parlant, il continuait à investir la cour céleste de ses muettes supplications : « Cette messe encore, la dernière peut-être ! Accordez-moi cette messe ! »

Tryk s’assit dans le fauteuil, comme pour en éprouver le confort. Le gémissement des ressorts usés le fit sursauter :

–  Diantre ! siffla-t-il entre ses dents, vous n’êtes pas douillet !

–  Désirez-vous une tasse de thé ? demanda l’abbé Paul, d’une voix suave. Tryk hésita un instant. Il était en service commandé et le règlement interdit d’accepter des consommations chez de futurs prévenus. Mais il faisait drôlement froid et puis… ce n’était pas une nuit comme les autres ! Même un mouchard patenté n’aime pas être « de service » pendant une nuit de Noël. – D’accord,grommela-t-il. Soudain, il vit par terre, presque sous ses pieds, un paquet de pain azyme1. Il le ramassa machinalement et sentit, dans sa mémoire atrophiée, comme un déclic. L’abbé Paul l’observait du coin de l’œil.

–  Voulez-vous qu’on le partage ? demanda-t-il à brûle-pourpoint. Tryk sursauta comme si on l’avait démasqué.

–  Au diable vos superstitions ! siffla-t-il entre ses dents. Puis, prenant la tasse que l’Abbé lui tendait en souriant :

–  Vous me prenez pour un monstre, comme tout le monde ? L’abbé Paul réfléchit un instant :

–  Monstre? Non. Mais un malheureux qui croit que personne ne l’aime. Le mouchard s’esclaffa : – Allons, vieux corbeau, tu ne me feras pas croire que je sois tellement aimable. Assis sur un escabeau, en face de lui, l’Abbé remuait pensivement le sucre dans sa tasse ébréchée.

– D’accord, dit-il, et c’est précisément où Dieu nous étonne et nous choque. Aimer un sacripant comme vous, tu, tu, tu ! Et pourtant, c’est vrai, il n’y a pas à dire. Il vous aime. J’ose même vous dire qu’il vous aime tout particulièrement.

– Vous vous moquez de moi ! hurla le sbire en se redressant violemment.

– Attention à votre tasse, dit l’abbé Paul. Mais non, je vous parle sérieusement. Personne ne vous oblige d’y croire, mais moi, je le sais. C’est à cause de vilains types comme vous et moi, qu’il y a une nuit de Noël. Dieu n’est pas descendu parmi nous parce que nous étions propres comme des enfants de chœur, mais parce que nous étions sales et crasseux. J’ose dire que plus nous sommes crasseux et plus nous avons droit à sa miséricorde. […] Ce n’est pas pour des prunes qu’il est descendu sur cette sale terre, mais pour ramasser, à la pelle, nos pauvres péchés ! Les miens, les vôtres, ceux du monde entier ! Il ne vous arrive jamais de vous mépriser, comme la crapule que vous êtes ? Eh bien ! Dieu a voulu endosser cette crasse, il a pris sur lui vos péchés. Encore faut-il y consentir, vous êtes libre de dire oui et de dire non ! Et savez-vous ce que c’est, de dire oui ? C’est Noël dans le cœur et sur terre, mon fils ! C’est l’innocence reconquise, c’est la paix des hommes de bonne volonté, c’est le mystère de l’enfance divine en nous ! Vous avez eu une maman, vous ? N’étiez-vous pas, vous aussi, un petit garçon heureux ? C’est cela que Noël vous apporte. Il suffit de dire « oui ».

Effondré le visage hagard, Antoine Tryk fixait avec épouvante la maigre silhouette du prêtre :

–  Et si je dis oui, qu’arrivera-t-il ?

–  Parbleu, vous vous confesserez ! Engoncées dans les plis et replis de leurs consciences délicates, les benoîtes de la paroisse commençaient à s’impatienter sérieusement lorsque, vers 11 heures, l’abbé Paul ouvrit avec fracas la porte de la sacristie et courut à grandes enjambées vers son confessionnal.

– Place aux publicains ! Une nuit comme celle-ci, les grands pécheurs ont priorité !

D’un grand geste de la main, il partageait les flots de ses pénitents.

– Et nous, alors? siffla Mme X. d’un air courroucé. J’aviserai Monseigneur !

Fou de joie, l’abbé Paul s’abîmait en action de grâces. Peu lui importait que ce ne fût qu’un sursis ! Il l’a eu, son « gros poisson » qu’il savait maintenant tapi dans l’ombre, près du porche, bien couvert de sa houppelande et pleurant de bonheur comme un veau.

– Seigneur Jésus, tu as bougrement bien fait de descendre parmi nous, murmura-t-il, en fermant un guichet pour s’incliner vers l’autre. Sans toi, on était perdu !

Maria Winowska, Les voleurs de Dieu, p. 13-18

1 En Pologne, depuis un temps immémorial, à l’unique repas de la vigile de Noël, on partage du pain azyme béni en signe de paix et de charité fraternelle.

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